Fazal Rehman, renvoyé spécial

Menacé de mort par les talibans, ce journaliste a dû quitter le Pakistan

Menacé de mort par les talibans, ce journaliste a dû quitter le Pakistan

Malgré une force de caractère impressionnante, ce journaliste pakistanais a dû plier sous les menaces des talibans et fuir son pays. En France depuis huit mois, il tente de se refaire une vie, loin de ses trois enfants.

« J’avais une très belle vie et à cause d’idéaux j’ai tout perdu ». Fazal-ur Rehman Afridi en est conscient, mais il ne s’apitoie pas. Son combat l’a poussé aux pires sacrifices mais c’est comme ça, il faut faire avec. Là où l’on s’attend à rencontrer un homme fragilisé, vulnérable, comme peut l’être une personne forcée à l’exil, c’est un homme à la force et au détachement déconcertants que l’on découvre. « Fazal ? Il est en bas, vous verrez, c’est celui qui a un crâne luisant ! », indiquent ses colocataires de la Maison des journalistes, dans le XVème arrondissement de Paris. Luisant, peut-être pas, mais rasé de très près c’est sûr. L’allure élégante, le port droit, Fazal Rehman en impose sans intimider. Son visage est lisse, carré, et ne donne aucun indice sur ce qu’il a pu endurer.

L’an passé, la vie de ce journaliste pakistanais de 36 ans a basculé. Fervent défenseur des droits de l’homme et opposant aux talibans, il est enlevé par ces derniers dans son village, dans la zone tribale pakistanaise. « Ils ont tué mes deux cousins et un ami à moi durant la captivité. Ils voulaient me torturer pendant un long moment et après seulement me tuer, pour que j’aie peur du début à la fin et que je les supplie pour ma vie », raconte-t-il en anglais, le plus naturellement du monde, pas une once d’émotion dans le regard. En creusant bien, on découvre que l’événement a été traumatisant. Mais Fazal Rehman est un Pachtoun. Et un Pachtoun se doit de rester fort et fier. « J’étais très calme. Je leur ai montré que tout cela me paraissait normal, que cela ne me faisait rien. Mais bien entendu c’était horrible, j’étais vraiment choqué ; quand quelqu’un que vous aimez est tué devant vous, c’est vraiment vraiment terrifiant », concède-t-il, toujours sans ciller.

Trois semaines aux mains des talibans

Fazal Rehman avait déjà subi des pressions de la part des talibans, qu’il épinglait régulièrement dans ses articles. Mais cela s’était limité à des menaces verbales et un nez cassé. « Je ne pensais pas que c’était vraiment sérieux, je me disais que c’était un incident (sic) isolé », confie-t-il à propos de son passage à tabac. Ce n’est que lors de son enlèvement qu’il prend réellement conscience du danger. Après 21 jours de captivité, il parvient à s’enfuir et part retrouver sa famille. Là, l’accueil n’est pas des plus chaleureux. « Ils ont tout fait pour que je quitte le pays, ils m’ont dit qu’à cause de moi ils étaient en danger. Je ne voulais pas mais ils m’ont forcé », se souvient-il. Il finit donc par laisser derrière lui ses trois enfants, deux filles de 13 et 15 ans, et un garçon de 12 ans. « C’est très très dur », admet-il depuis sa chambre française, sur les murs de laquelle on ne trouve pourtant ni photo ni lettre de ces adolescents. Mais Fazal Rehman estime qu’il a fait ce qu’il avait à faire : « C’était important pour moi d’écrire sur tout ça (les droits de l’homme et les talibans, ndlr). Les principes et les idéaux que j’ai, il faut que je les exprime. C’est plus important que ma propre sécurité. »

Pas de thérapie

L’arrivée en France, en juin 2009, n’est pas évidente. Il ne connait personne et ne parle pas la langue. Heureusement, il est pris en main par Reporters sans frontières puis logé à la Maison des journalistes, qui accueille, depuis sept ans, des reporters en exil. Il se fixe rapidement un objectif : s’intégrer à la société française. « Je suis des cours de français, je lis des choses sur la culture française … Je veux être productif, je ne veux pas être un parasite », assure-t-il. Au Pakistan, il lui était impossible de rester les fesses posées sur une chaise : il possédait un commerce de riz et poursuivait en parallèle son activité de journaliste, pas assez lucrative pour en vivre.

Malgré les épreuves douloureuses, Fazal Rehman ne suit pas de thérapie. « Le fait de vivre avec des personnes qui ont vécu des situations similaires, c’est un peu comme une thérapie, on n’est pas seul », apprécie-t-il. Encore une fois, pas question pour lui de larmoyer. L’important est de se rendre utile et d’aller de l’avant. Il aimerait certes retourner au Pakistan un jour, quand la situation sera plus calme, mais pour l’heure il doit se construire une vie en France. Il espère pouvoir suivre une formation, peut-être dans le marketing, conscient qu’ici non plus il ne pourra pas vivre du journalisme. Il poursuit de toute façon son combat à distance grâce à son blog, où il continue de dénoncer l’action des talibans : « Je veux que les Occidentaux sachent comment c’est, le Pakistan. »

Reste pour lui un frein, et de taille, qui l’empêche d’avancer en France : l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) lui a refusé le statut de réfugié, précieux sésame pour trouver travail et logement. « Je pense qu’il était trop sûr de lui, persuadé que son dossier passerait tout seul », analyse Philippe Spinau, le directeur de la Maison des journalistes. Encore cette satanée fierté pachtoune.

Elsa Maudet

2 réponses à “Fazal Rehman, renvoyé spécial

  1. bon papier, si vous êtes intéressés par les « minoritaires » au Pakistan, je réalise moi-même un travail sur la condition des chrétiens dans ce pays…
    n’hésitez pas à consulter les interviews!

    http://lechodeshalimar.wordpress.com/

  2. thumbs up 😉 très bien ecrit cet article je trouve! interessant, et comme d hab, revoltant !

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