Sans papiers, mais en ordre de marche pour leur dignité

Quatre-vingts sans-papiers entameront demain une marche d’un mois depuis Paris jusqu’à Nice, afin que leurs demandes de régularisation soient entendues par les chefs d’État français et africains, réunis en sommet fin mai.

Moussa Bathily croit au destin. Le sien, il en est persuadé, est d’obtenir sa régularisation. La question est de savoir quand, parce que, depuis neuf ans qu’il est en France, Moussa commence à trouver le temps long.

Manifestation de sans-papiers le 1er mai à Paris / Photo wolf bonpiedbonoeil (Flickr CC)

Manifestation de sans-papiers le 1er mai à Paris / Photo wolf bonpiedbonoeil (FlickR CC)

Ce svelte trentenaire a quitté le Mali à cause de la sécheresse. « Avant, nos parents n’avaient pas de problèmes pour vivre de la culture, raconte-t-il. Mais, en grandissant, j’ai vu le pays se désertifier et de très nombreuses personnes partir. J’ai alors compris qu’il fallait que je m’en aille moi aussi. »

Depuis son arrivée à Paris, en 2001, Moussa n’a jamais cessé de travailler. Toujours dans la restauration, souvent comme cuisinier – son « travail préféré » –, parfois comme plongeur. Ses missions d’intérim se sont succédé mais, à chaque fois, sa situation irrégulière l’a empêché d’obtenir un travail sur le long terme. Il a bien obtenu trois autorisations provisoires de séjour de trois mois, entre 2007 et 2008, mais c’est tout.

Une trentaine de kilomètres par jour

Une fois, Moussa a pourtant décroché un CDI, mais le restaurant s’est fait contrôler et son patron l’a licencié. Toutefois, il n’est pas du genre à désespérer. Alors, l’idée de cette longue marche de Paris à Nice, pourquoi pas ? S’il n’en attend pas monts et merveilles, il pense que cela peut faire avancer la situation des sans-papiers « en nous donnant de la visibilité ». Alors, oui, pourquoi pas ?

Founé Dramé est plus confiant dans les répercussions de cette sportive traversée de l’Hexagone, à raison de quelque trente kilomètres par jour, en moyenne. Il se dit, en effet, « sûr et certain que, cette fois-ci, le gouvernement va faire quelque chose ». Founé, 40 ans, est, lui aussi, malien. Il a quitté son pays pour les mêmes raisons climatiques que Moussa. Et parce qu’il savait qu’en France, il serait bien accueilli par des frères et cousins. « Pour la plupart, on a plus de famille ici que là-bas », remarque-t-il. Reste que cela ne suffit pas toujours : après avoir travaillé dans le bâtiment puis dans le nettoyage, Moussa n’a plus de travail depuis le mois de juillet dernier. « À cause des grèves, les patrons ont eu peur », avance-t-il.

Founé vit désormais à plein-temps au très symbolique « Ministère de la régularisation de tous les sans-papiers », dans des locaux appartenant à la Caisse primaire d’assurance-maladie (CPAM), rue Baudelique, dans le 18e arrondissement de Paris. « Cette lutte sépare des familles, fait perdre des emplois, souligne-t-il. Mais il faut tout faire pour gagner ses papiers. Nous continuerons à rester unis et côte à côte, sinon cela n’aura servi à rien. »

Hamet Banor, lui, vient du Sénégal. Dès ses 13 ans, il lui a fallu endosser le rôle de chef de famille, et cultiver la terre. Là encore, la sécheresse a rendu l’activité difficile, voire impossible. Et le découragement a pris le dessus : « Quand tu te lèves le matin et que ton père ne peut rien faire de toi… », souffle-t-il, sans terminer sa phrase. En 2002, à 35 ans, Hamet part pour la France. Les cinq premières années, il n’a pas trop de problèmes : il parvient à se faire employer dans la menuiserie, la peinture et l’imprimerie. Mais, depuis 2007, plus rien. Cet homme à la tenue soignée a fait plusieurs demandes de régularisation mais sans jamais obtenir satisfaction, en dépit des prières, des gris-gris et des sacrifices d’animaux de sa famille restée au Sénégal.

«Notre combat est digne»

Photo Neno° (Flickr CC)

Photo Neno° (Flickr CC)

Aux côtés de Moussa Bathily, Founé Dramé, Hamet Banor et des près de 3 000 autres « membres » de ce « Ministère de la régularisation de tous les sans-papiers », deux hommes : Djibril Diaby et Anzoumane Sissoko, respectivement originaires du Sénégal et du Mali, et responsables du mouvement. Eux ont leur régularisation dans la poche, depuis 2005 pour le premier, et 2007 pour le second. Mais pas question d’abandonner les frères, les cousins ou les amis en souffrance.

« Notre combat est digne, juste et légitime, assure Djibril Diaby. On ne peut pas les laisser tomber. » Il anime, aujourd’hui, une émission hebdomadaire, sur les ondes de la radio associative Fréquence Paris Plurielle. Et, à partir de demain, sur les chemins et les routes de la marche Paris-Nice, il espère que les marcheurs arriveront à sensibiliser, en direct, la population française et les présidents africains sur le sort des sans-papiers en France. « C’est très important que l’on soit là-bas en tant que ressortissants africains, défend Djibril Diaby. La France et les pays africains ont passé plusieurs accords sur l’immigration, donc les chefs d’État ont une responsabilité dans cette affaire. » Lui, que certains surnomment « l’abbé Pierre africain », rappelle qu’il a rejoint la France « pour trouver un monde meilleur, comme tous les immigrés ». A-t-il réussi ? « Je vais le trouver… », lâche-t-il dans un grand sourire, refusant d’affirmer que sa vie actuelle n’est pas tout à fait celle qu’il espérait.

Elsa Maudet

Cet article est paru dans la Croix le 30 avril 2010

Photos par wolf bonpiedbonoeil et Neno°

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